Les écrivains, ces assassins : mon expérience en tant que membre de jury du concours de nouvelles de Bakwa magazine

Edwige-Renée Dro

En prélude à la publication de la liste des finalistes de notre concours de nouvelles prévue pour demain le 31 décembre 2016, l’un des juges, Edwige-Renée Dro, partage avec nous ses réflexions sur les nouvelles du concours et l’écriture camerounaise.
 

Click here to read the English version 

Lorsque Dzekashu MacViban, rédacteur en chef et fondateur de Bakwa magazine, m’a sollicité pour faire partie du jury du concours de nouvelles dudit magazine, j’ai sauté sur l’occasion. En effet, j’ai un faible pour la lecture et j’aime toujours être au fait de ce qui se trame dans d’autres écosystèmes littéraires africains. D’ailleurs, en tant que traductrice et écrivaine originaire d’un pays francophone, le fait que ce concours ait reçu des nouvelles tant en anglais qu’en français suscitait en moi un grand intérêt.
Tout comme les trois autres juges, j’ai reçu 66 nouvelles (6 autres ayant été disqualifiées, y compris deux du Nigéria), dont 29 en anglais et 37 en français, qui abordaient comme thèmes, l’amour (bien sûr), la scolarisation de la jeune fille, l’infertilité dans les foyers, tomber amoureux d’un fantôme (!) et le chômage, entre autres. Il y avait même une fable ou deux. Vu que nous sommes en Afrique et que l’écrivain est appelé à être la conscience de sa société, les écrits portant sur la politique n’ont pas manqué à l’appel.
J’ai appris de mots nouveaux comme « beignetariat », des expressions telles qu’« Excuse ma vie » ; et, maintenant, je sais qu’il existe un Carrefour Samuel Eto’o Fils quelque part à Yaoundé, et je voudrais bien visiter les Bois Sainte Anastasie.
Le caractère bilingue du Cameroun s’est fait ressentir dans plusieurs histoires, surtout celles écrites en anglais, qui comportaient des parties de conversations en français. Au départ, j’ai trouvé ce fait intéressant et je l’ai applaudi comme la preuve d’un pays qui a su réussir le pari du bilinguisme. Cependant, nous jugions ces nouvelles pendant une période marquée par des protestations contre le système et des demandes de réformes dans les parties anglophones du Cameroun, notamment à Buéa, Bamenda et à Kumba.
Un commentaire que j’ai lu sur Facebook portant sur ces tensions soulignait le fait qu’un Camerounais anglophone se devait de parler français afin de se frayer un chemin dans l’administration camerounaise, alors qu’un Francophone n’avait nul besoin de parler l’anglais. Fait intéressant : les nouvelles écrites en français dans le cadre du concours ne comportaient aucun dialogue en langue anglaise, tandis que les nouvelles en anglais comportaient des dialogues ou des expressions en langue française. Je suis fascinée par le fait que, peut-être inconsciemment, les écrivains aient pu me montrer à moi les questions qui préoccupent leur société. C’est la raison pour laquelle j’aime la fiction, et étant dans un continent encore engagé dans le processus de décolonisation, la fiction, pour moi, est un puissant outil qui permet d’aborder toutes ces questions délicates auxquelles nous faisons face.

Certaines des expressions, quoique camerounaises par excellence, ne nécessitaient aucune glose. Je préfèrerais que le sens en soit clair à partir du contexte et, dans la plupart des instances, c’était le cas.

Le concours de nouvelles de Bakwa magazine était également ouvert aux Camerounais de la diaspora, et bien que l’identité des participants ne nous ait pas été révélée, c’était merveilleux de lire des histoires qui se déroulent dans des pays comme l’Écosse ou la République centrafricaine. Pour un concours de nouvelles ponctuel qui en est à sa première et – peut-être – unique édition, la plupart des nouvelles soumises étaient de très bonne facture. L’art a beau s’inspirer de la vie réelle, son processus de création requiert une bonne dose d’imagination.
Tout manuel/enseignant de fiction insiste sur le fait qu’il faut « montrer et non dire ». Mais le meilleur moyen d’apprendre à « montrer et non dire » c’est de lire des tonnes d’excellents romans et nouvelles puisque cela nous permet de parfaire notre art. Il y avait donc, dans ce concours, bon nombre d’histoires où l’écrivain s’efforçait de faire passer son message, au détriment de l’aspect artistique de l’histoire : trop d’autofictions déguisées en fictions et, au niveau technique, quelques extraits de romans se faisant passer pour des nouvelles parce que le nombre de mots desdits extraits tombait dans la limite prévue par les règles du concours. Mais une nouvelle ne saurait être un roman court.
Tel que je l’ai dit plus haut, j’aime lire et j’apprécie bien quand un écrivain respecte mon intellect. Certaines des expressions, quoique camerounaises par excellence, ne nécessitaient aucune glose. Je préfèrerais que le sens en soit clair à partir du contexte et, dans la plupart des instances, c’était le cas.
Une autre bête noire : les fautes d’orthographe, celles qui sautent vraiment aux yeux et qui auraient pu être corrigées si les auteurs avaient relu leurs textes. La morale de l’histoire c’est qu’il faut écrire son texte bien avant le délai, le laisser mijoter, puis revenir dessus pour se débarrasser des fautes d’orthographe, s’assurer de montrer au lieu de dire, bref, assassiner ses petites créations chéries. Oui, l’écrivain est un assassin.
En somme, faire partie du jury de ce concours a été une belle expérience et j’espère qu’il y aura une deuxième édition ouverte à d’autres Francophones du continent et de la diaspora.